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  • Les nietzschéens et leurs ennemis...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Pierre-André Taguieff intitulé Les nietzschéens et leurs ennemis - Pour, avec et contre Nietzsche.

    Philosophe, politologue et historien des idées, Pierre-André Taguieff est l’auteur d'essais importants qui ont contribué à mettre à mal la pensée unique comme  La Force du préjugé - Essai sur le racisme et ses doubles (La découverte, 1988), Résister au bougisme (Mille et une Nuits, 2001), Les Contre-réactionnaires : le progressisme entre illusion et imposture (Denoël, 2007), Julien Freund, au cœur du politique (La Table ronde, 2008) ou Du diable en politique - Réflexions sur l'antilepénisme ordinaire (CNRS, 2014). On retrouvera ici l'auteur qui avait signé voilà trente ans une contribution dans l'ouvrage collectif Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens (Grasset, 1991).

     

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    "La pensée du philosophe, le style du pamphlétaire : c'est à la manière de Nietzsche que Taguieff dénonce ses héritiers de droite et de gauche, modernes et postmodernes, totalitaires ou libertaires. Un festival de lucidité, une relecture de 150 ans de fictions qui se sont voulues des rêves et qui ont tourné au cauchemar.

    Nietzsche aura été le philosophe du siècle. Parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Retournant contre le prophète de Dionysos le marteau philosophique que lui-même employait pour ébranler les idoles, Pierre-André Taguieff livre avec acuité, verve et élégance une relecture inédite, iconoclaste et critique de l'histoire de la pensée contemporaine, de ses incohérences et de ses abîmes. Il explore le vaste continent des écrits nietzschéens et antinietzschéens qui continuent d'inspirer et de diviser les philosophes, les écrivains et les artistes, notamment face à la question de la décadence et à celle du nihilisme.
    Comment comprendre la fascination récurrente exercée par Nietzsche et sa pensée ? Qu'ont en commun les nietzschéens de droite et les nietzschéens de gauche ? Pourquoi puisent-ils au même fond de métaphores, de paraboles, d'images survoltées pour les surinterpréter ? Comment comprendre cette bataille d'appropriations qui semblent contradictoires mais qui se rejoignent souvent dans le même culte de la force et de la destruction ?
    Cet essai est déterminant pour lever nos cécités sur le plus enthousiasmant et le plus aveuglant des philosophes. Un exercice de lucidité qui marque un tournant dans la pensée française et européenne."

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  • "Que le salut du peuple soit la loi suprême" : Julien Freund et le politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Pierre Bérard à Breizh-Info à l'occasion de la récente publication du recueil Le politique ou l'art de désigner l'ennemi (La Nouvelle Librairie, 2020). Pierre Bérard, membre fondateur du GRECE, collaborateur régulier des revues de la Nouvelle Droite a été un élève et un complice de Julien Freund, qu'il fait magnifiquement revivre dans ce recueil au travers d'une retranscription de conversations pétillantes d'intelligence.

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    Pierre Bérard : « Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain »

    Breizh-info.com : Qui était Julien Freund ? À quelle occasion l’avez vous rencontré ? Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette rencontre ?

    Pierre Berard : Julien Freund (1921-1993) était un personnage tout à fait singulier. Né à Henridorff en Moselle, tout près de l’Alsace, dans un milieu de paysans et d’ouvriers, il a du interrompre ses études après le baccalauréat pour subvenir
    au besoins de sa famille. Il est instituteur quand survient la seconde guerre mondiale. Détenu comme otage par les Allemands, il s’évade et rejoint Clermont Ferrand en zone libre où se trouve repliée l’université de Strasbourg.
    Il y poursuit sa licence de philosophie puis entre en résistance dès janvier 1941 dans les groupes-francs de Combat dirigés par Henri Frenay. Arrêté deux fois, il s’évade deux fois et termine la guerre dans les maquis FTP de
    la Drome. Après le conflit il tâte brièvement de la politique, puis muni de son agrégation de philosophie se lance dans la rédaction de sa thèse qu’il soutient en 1965 sous la direction de Raymond Aron. Ses 765 pages sont
    éditées la même année sous le titre L’essence du politique chez Sirey. Elle a connu depuis plusieurs rééditions et demeure l’oeuvre la plus considérable de ce penseur hors pair, que Pierre-André Taguieff considère comme
    « l’un des rares penseurs du politique que la France a vu naître au XX siècle ».

    J’ai rencontré Freund pour la première fois en janvier 1975 à Paris lors d’un colloque du GRECE où il s’était fait chaleureusement applaudir à la suite d’une conférence au titre assez provocateur « Plaidoyer pour l’aristocratie ».
    « Aristocratie » devant être pris dans son sens étymologique du gouvernement des meilleurs, c’est à dire les plus aptes à diriger la cité pour le bien commun de ses nationaux. Dès les années suivantes mes relations avec lui
    sont passées du stade courtois à la franche complicité. Moi-même strasbourgeois, j’ai pu le fréquenter tant chez lui, à Villé, que dans les winstub alsaciennes ou dans les colloques où je me trouvais invité avec lui.

    Ce qui marquait chez lui en dehors de son érudition phénoménale était sa simplicité et sa propension à parler avec tout le monde. Il était aussi rieur et souvent effronté, chose que j’ai tenu à mettre en scène dans les longues
    conversations que j’ai eu la chance de pouvoir entretenir avec lui jusqu’à sa mort. Il faut dire aussi que son espièglerie parfois persifleuse s’accommoderait fort mal avec le progressisme ou le salafisme dont notre époque est
    farcie jusqu’à la moelle.

    Les imprécateurs de ces nouveaux dogmes sont trop imbus de leurs certitudes et ne savent en conséquence pratiquer ni l’humour ni le second degré. Oui, de toute évidence Julien Freund était un homme de la France d’avant qui pourrait être la France de demain. Un homme qui savait douter, y compris de ses propres opinions; il n’avait pas la prétention des sectaires.

    Breizh-info.com : En quoi le livre « Le politique ou l’art de désigner l’ennemi » est essentiel, d’autant plus à notre époque ?

    Pierre Berard : Le livre Le politique ou l’art de désigner l’ennemi est composé d’une brillante introduction d’Alain de Benoist qui souligne les grands thèmes qui ont agité la pensée de Freund et les propos de table échangés entre lui et moi durant une bonne quinzaine d’années, puis de quatre longs articles que Freund avait confié aux revues de la Nouvelle Droite. Successivement, Propos sur le politique, Plaidoyer pour l’aristocratie, Les lignes de force de la pensée politique de Carl Schmitt et de Prolégomènes à une étude scientifique du fascisme. Ainsi ce livre constitue-il une bonne approche d’une oeuvre marquée par un réalisme que n’encombre aucun des multiples tabous et censures qui caractérisent notre présent et rendent impossibles la libre discussion.

    Freund est aujourd’hui un auteur injustement oublié. Il ne faut pas s’en étonner car c’est le lot de nombreux penseurs non-conformistes qui n’ont pas l’heur de satisfaire une université en proie à une idéologie qui s’attache à déconstruire ce qui faisait tout l’héritage du savoir européen. Freund avait d’ailleurs pressenti ce nouveau climat fait de lâcheté pour les uns et d’activisme forcené pour une minorité d’autres. Il démissionna de toutes ses fonctions académiques en 1972, à 51 ans, pour se retirer dans son village où il continua dans la sérénité à poursuivre son travail.

    Le livre est d’autant plus essentiel qu’à l’époque présente nous sommes inondés par les médias de grand chemin qui font la promotion incessante de minorités victimes de méchants « hommes blancs, hétérosexuels de plus de cinquante ans ».

    À l’heure présente, celle des basses eaux, les victimes ont remplacé les héros, du moins dans notre Panthéon. À cette avalanche ininterrompue qui agit comme un formatage de l’opinion, il nous appartient de réagir sous peine de disparaître d’un continent qui a vu notre civilisation s’élaborer et s’épanouir et entreprendre la rude tâche de déconstruire les déconstructeurs.

    Comme Max Weber, dont Freund fut un des passeurs en France, celui-ci affirme que le politique est affaire de puissance. Agir politiquement c’est exercer une puissance de même que renoncer à l’exercer c’est se soumettre d’emblée à la volonté et à la puissance des autres. Or sur le théâtre des opérations il y a bien des candidats à la puissance, à commencer par le plus visible, celui des États Unis, toujours aussi impérialistes et dont le soft power écrase nos identités, la Chine ou la Turquie d’Erdogan. Or nous ne pouvons que constater, sans être va-t-en-guerre pour autant, l’étonnante pusillanimité de l’Union européenne sur ces fronts là. Les lecteurs trouveront dans ce livre non seulement matière à se rasséréner mais surtout des arguments pour engager la contre-offensive nécéssaire afin d’assurer notre survie. Dans cet ordre d’idées le raisonnement de Freund s’apparente à celui du grand juriste allemand Carl Schmitt.

    Posons nous la question; est-il bien raisonnable de penser que tous les hommes ont vocation à s’entendre et de postuler l’avénement d’une paix universelle ? Ou bien ne s’agit-il là que d’une illusion angélique ? Le monde en effet n’est pas une unité politique, il n’est pas un universum mais bien plutôt un pluriversum politique. Freund incontestablement influencé par Carl Schmitt dans ce registre pose alors la question : ne convient-il pas de regarder la réalité en face et assumer le fait que le monde est composé d’ennemis potentiels et que seule une prise de conscience politique réaliste, dépourvue d’arguments moralisateurs peut engager une action responsable. Ceci est la base de la dialectique ami-ennemi. Penser la guerre comme actualisation ultime de l’hostilité n’est pas faire preuve de militarisme ou de bellicisme outrancier mais d’une prudence qui doit animer le politique.

    Imaginons un peuple qui voudrait échapper à cette loi de l’ami et de l’ennemi et qui se convaincrait à grands coups de déclamations incantatoires qu’il n’a aucun ennemi et même qu’il déclare la paix au monde entier, il ne supprimerait pas pour autant la polarité ami-ennemi, puisque un autre peuple peut fort bien le désigner comme ennemi. C’est l’ennemi qui vous désigne dit Freund. Et Schmitt de surenchérir : « Qu’un peuple faible n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique, ce n’est pas la fin du politique dans le monde. C’est seulement la fin d’un peuple faible ».

    La guerre n’est ni l’objectif ni la fin du politique mais elle demeure ce moment d’acmé dont tout homme d’État doit avoir l’hypothèse en tête. Freund ne croyait pas du tout à la disparition possible de la catégorie politique, raison pour laquelle il n’était pas libéral. En effet la pensée libérale mise sur la cessation des conflits, la fin de l’histoire et la dépolitisation de l’État en décrétant que le but des communautés humaines est la recherche du bonheur individuel en attribuant à l’instance dirigeante une simple posture de gestion, ce qui pour lui représentait une fiction délétère.

    Breizh-info.com : « Rien n’est plus éloigné du politique que la morale » écrit Alain de Benoist évoquant l’oeuvre de Freund. Pourtant aujourd’hui, toute la vie politique se résume à des leçons de morale, qui intègre même les décisions pénales. Que faut-il alors retenir de Freund pour l’appliquer ensuite à la vie politique, judiciaire de ce pays ?

    Pierre Berard : Pour Freund chaque activité est dotée d’une rationalité propre qui n’appartient qu’à elle. Il souligne à ce propos que l’erreur commune d’un certain marxisme (léniniste) et du libéralisme est de faire de la rationalité économique le
    modèle de toute rationalité.

    Il écrit à ce propos : « La pensée magique consiste justement en la croyance que l’on pourrait réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre ». Il insiste tout particulièrement sur la confusion de la morale et du politique et conseille d’en finir avec cet imbroglio. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la morale regarde le for intérieur privé tandis que le politique est une nécessité de la vie sociale. Aristote, l’un de ses maître, distinguait déjà vertu morale et vertu civique concluant que l’homme de bien est le bon citoyen. Un homme irréprochable du point de vue de la morale fait rarement un bon politique et d’autre part parce que la politique ne se fait pas avec de bonnes intentions morales, mais en s’attachant à ne pas faire de choix malheureux entrainant la perte de la cité.

    Agir moralement ou prétendre le faire peut conduire à mener des guerres « humanitaires » (l’expression est de Carl Schmitt) et déclencher des catastrophes en chaîne comme on l’a vu avec l’opération occidentale en Libye, où nous avons été entrainés par l’imposteur Bernard-Henri Lévy et le narcissisme du président Sarkozy. Qui dit humanité veut tromper proclamait Proudhon. Cette déclaration s’est rarement démentie ! La politique n’est pas pour autant amorale ou immorale. Elle possède même sa dimension morale pour autant qu’elle poursuit le bien commun. Le bien commun n’est pas la somme des intérêts individuels mais ce que Tocqueville appelait le « bien du pays ».

    Breizh-info.com : Désigner l’ennemi, c’est déjà forcément discriminer. Finalement, les lois qui aujourd’hui encadrent la liberté d’expression, et qui interdisent toute discrimination en France, ne sont-elles pas des lois qui vont à l’encontre du principe même de la vie de la cité, c’est à dire de la politique ?

    Pierre Berard :  Discriminer est une obligation dans l’ordre intellectuel sous peine de sombrer dans le confusionnisme. Il en va de même dans l’ordre politique où la première des discrimination doit distinguer le citoyen du non citoyen. La mode actuelle
    est à l’anti-discrimination sur le plan politique et pourtant l’État doit bien s’y résoudre quoi qu’il dise.

    Par exemple l’Éducation nationale ne peut recruter que des citoyens tout comme l’armée, à l’exception de la légion étrangère. Il est interdit en France d’être anti-islamiste mais bien vu d’être russophobe et ainsi de suite. En bonne logique les lois anti-discrimination sont inapplicables mais la logique est absente du système…Par exemple, comment est qualifiée une information ?

    Selon qu’elle plait ou non aux censeurs omniprésents ils la qualifieront de « complotiste » ou d’avérées. Dans le premier cas elle sera envoyée au pilon par les plateformes des oligarques la Silicon valley, dans le second elle aura droit à tous
    les égards comme information fiable. Dans son livre Athéna à la borne (éditions Pierre-Guillaume de Roux) maître Thibault Mercier a tout dit dans son seul sous titre Discriminer ou disparaître.

    Breizh-info.com : Quels sont, outre ce livre, les autres travaux de Freund que vous jugez important à lire et à comprendre ?

    Pierre Berard : Outre nombre d’études spécialisées je vois deux livres qui me paraissent importants. Le premier intitulé La décadence est paru chez Sirey en 1984. Il passe en revue toute les théories du déclin des civilisations et déclare dans son avant- propos que « tant qu’une civilisation demeure fidèle à l’impératif de ses normes, on ne saurait parler de décadence. Elle s’y embarque, dès qu’elle rompt avec elles ». C’est dire si il croyait que nous étions engagés sur cette voie. Il voyait dans l’aboulie de l’Europe et dans l’abolition progressive du politique au profit de l’économie et de la morale le signe de ce déclin. Il disait aussi que la culpabilité et que le sentiment de mauvaise conscience entretenus par de pseudos élites chez les Européens relevait d’un ethno-masochisme dont on ne voit nulle trace ailleurs.

    Certes la capacité des Européens à sans cesse se remettre en question fut longtemps une force dans la mesure ou elle aboutissait à de nouvelles synthèses mais au point où nous en sommes arrivés on ne voit rien surgir de tel, qu’un affaiblissement morbide et général. Tous les peuple ont commis l’esclavagisme, le colonialisme etc; n’est-il pas stupide que nous devions en porter seuls le poids historique et faire seuls repentance ad libitum ?

    Le deuxième livre que l’on peut conseiller aux lecteurs curieux est Politique et impolitique (toujours chez Sirey), un ample recueil d’articles dans lequel Freund définit ce qu’il entend par l’impolitique. Ce n’est ni l’apolitique ni l’antipolitique ni encore le non-politique. Une politique basée sur les droits de l’homme, par exemple, équivaudrait à une impolitique parce qu’elle serait à prétention morale. C’était aussi la conviction de Marcel Gauchet. Nous retrouvons là la confusion dénoncée par ailleurs qui consiste à réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens d’une autre. Nous vivons en Europe une phase de confusion entre les essences qui correspond à une intense dépolitisation qui nous conduit à l’impuissance, aussi bien dans sur le plan intérieur qu’au plan diplomatique et géostratégique. Cela hérissait le poil de Julien Freund qui avait lu et retenu les leçons de Machiavel et de Thomas Hobbes, des apôtre de la politique réaliste.

    D’ailleurs on pourrait résumer Julien Freund à un seul postulat, l’adage romain et machiavélien Salus populi suprema lex qu’on peut traduire ainsi « Que le salut du peuple soit la loi suprême ». Malheureusement on est en droit de se demander si nous constituons toujours un peuple quoi qu’en disent certains intellectuels qui vivent dans des catégories autres que celles dans lesquelles ils pensent.

    Breizh-info.com : Peut-on dire que Freund était un disciple de Carl Schmitt ?

    Pierre Berard : Bien sûr qu’il a été, sinon son disciple, du moins très inspiré par lui. Mais alors que la polarité ami-ennemi joue un rôle clé dans la définition du politique par Schmitt, elle n’en est qu’un des éléments pour Freund. Celui-ci
    distingue des présupposés inhérents à toutes les sociétés humaines depuis toujours et opérant en couple.

    L’économique tout d’abord qui articule rareté et abondance, l’utile et le nuisible, le lien du maître à l’esclave. Le religieux ensuite qui fait la discrimination entre le sacré et le profane, du transcendant et de l’immanent. Viennent encore successivement l’esthétique qui fait la différence entre ce que l’on trouve beau et ce que l’on trouve laid, l’éthique dans laquelle se trouvent opposés la décence et l’indécence etc… Ces couples sont permanents indépendamment de ce qu’on y loge. Le couple ami-ennemi ne constituant que l’ultime clé de voute de tout cet appareillage puisqu’il met en scène la concorde intérieure et la sécurité extérieure dont dépend la bonne marche de tout le reste. En tant que catégorie conceptuelle, l’essence désigne chez Freund l’une de ces « activité originaires » ou orientations fondamentales de l’existence.

    Avancer l’idée selon laquelle il y a une essence du politique, c’est dire que le politique est un activité consubstantielle de notre être au monde. Mais cela signifie également que l’on ne saurait l’éliminer ainsi que l’ont tentés les marxistes pour qui le politique était synonyme d’aliénation et instrument de la domination de classe et aujourd’hui les libéraux qui le conçoivent comme une activité irrationnelle appelée à être remplacé par les lois du marché, bien entendu « libre et non faussé ». Le politique étant de tout temps il ne dérive pas d’un état antérieur, d’un état de nature non social. Fiction inventée par les théoriciens du contrat et reprise par les Lumières. L’essence selon Freund est « la part d’invariant existant dans une activité appelée dans la vie concrète à revêtir les figures les plus diverses » comme le rappelle Alain de Benoist dans son introduction.

    Pierre Bérard, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-Info, 30 janvier 2021)

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  • Penser le politique avec Julien Freund...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Pierre Bérard à la revue Eléments pour évoquer la figure de Julien Freund, remise en lumière avec la publication du recueil Le politique ou l'art de désigner l'ennemi (La Nouvelle Librairie, 2020). Pierre Bérard, collaborateur régulier des revues de la Nouvelle Droite a été un élève et un complice de Julien Freund, qu'il fait magnifiquement revivre dans ce recueil au travers d'une retranscription de savoureuses conversations de table.

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    « L’avenir, c’est le massacre ! » Penser le politique avec Julien Freund

    ÉLÉMENTS : Vous avez connu Julien Freund. Quel homme – et quel maître – était-il ? Vous retrouviez-vous dans son enseignement ?

    PIERRE BÉRARD. J’ai rencontré Julien Freund pour la première fois à Paris lors d’un colloque du GRECE en janvier 1975. Il s’y était signalé par une conférence au titre provocateur « Plaidoyer pour l’aristocratie » (elle figure dans notre recueil). Aristocratie devant être pris dans son sens étymologique du gouvernement des meilleurs. Dans l’esprit de Freund, les « meilleurs » gouvernants étant les plus aptes à diriger la nation dans la perspective du bien commun, du bien du peuple selon Hobbes. Quelques mois plus tard, je prenais le chemin de Villé, le bourg alsacien où il habitait. Ce fut le début d’une relation courtoise, puis d’une réelle complicité qui dura jusqu’à sa mort. Je n’ai pas reçu son enseignement comme étudiant, puisque il avait démissionné de tous ses postes tant au CNRS qu’à l’université dès 1972, écœuré qu’il était par la lâcheté de ses collègues devant l’ivresse égalitaire des soixante-huitards qui se révéla sous ses aspects les plus sinistre dans les années qui suivirent ainsi qu’il l’avait pressenti.

    D’après de nombreux témoignages, ce fut un maître exigeant et infiniment pédagogue. J’en fis moi-même l’expérience lors des nombreuses conférences que j’organisai en sa compagnie. Au milieu de jeunes esprits souvent enthousiastes, il prenait plaisir à démonter les vues du monde par trop séraphiques. Il s’y montrait enjoué et jamais avare de son temps.

    Il avait la passion des idées et appréciait la discussion argumentée avec ses étudiants, dont les plus intéressants à ses yeux était les situationnistes. Il faut dire que leur niveau culturel n’avait rien à voir avec celui bas du front de nos actuels antifas. En réalité, sous des apparences de conservateur traditionnel, il était un authentique dissident et pas un de ces rebelles de confort à la raison binaire que notre monde fabrique à la chaîne.

    ÉLÉMENTS : Julien Freund est le grand penseur du politique. Que faut-il entendre par ce terme ? Qu’est-ce qui le distingue non seulement de la politique, mais aussi de l’impolitique ?

    PIERRE BÉRARD. Pierre-André Taguieff dans le livre qu’il lui a consacré a écrit que Freund était « l’un des rares penseurs du politique que la France a vu naître au XXe siècle ». Il distingue la politique du politique. Raisonnant en aristotélicien, il définit le politique comme une essence, c’est-à-dire un propre toujours présent dans toute société et dans toutes les époques, un invariant consubstantiel à l’humanité. Les autres essences étant l’économique, le religieux, la morale, la science et l’esthétique. C’est en cela qu’il est anti-libéral puisque le libéralisme prétend supplanter le politique par les lois du marché. De même affirme-il qu’il n’y eut jamais d’état de nature, au rebours de ce qu’assurent les théoriciens du contrat. Ce constat lui fait également écrire que : « S’il y a des révolutions politiques, il n’y a pas de révolution dans le politique. »

    Sa définition du politique repose sur trois présupposés qui sont autant de polarités dialectiques : la relation du public et du privé, la relation du commandement et de l’obéissance et enfin la relation de l’ami et de l’ennemi, cette dernière étant empruntée à Carl Schmitt dont il s’est imprégné dès le début des années cinquante alors que son œuvre était pratiquement inconnue du milieu des juristes et politistes français car non traduite. En effet, Freund, élevé dans le dialecte mosellan, était aussi un excellent germaniste, comme le montre sa familiarité avec les écrits non seulement de Schmitt, mais de Max Weber, de Georg Simmel ou de Ferdinand Tönnies, dont il a largement contribué à faire connaître les idées dans le monde intellectuel français.

    Julien Freund a consacré un livre de plus de 400 pages pour dire ce qu’il entendait par l’impolitique qui ne se confond ni avec l’apolitique, ni avec l’antipolitique, ni avec le non-politique. « La pensée magique, écrit-il, consiste en la croyance que l’on pourrait réaliser l’objectif d’une activité avec les moyens propres à une autre. » Par exemple confondre les buts du politique avec ceux de la morale ou de l’économie. Agir moralement n’est pas la même chose qu’agir politiquement. Ainsi une politique basée sur les droits de l’homme, par exemple, équivaudrait à une impolitique. Il en va de même pour une politique qui se laisserait guider par des objectifs principalement économiques. Nous vivons en Europe une phase de confusion entre les essences qui correspond à une intense dépolitisation qui nous a conduit à l’impuissance, aussi bien sur le plan intérieur, qu’au plan diplomatique et géostratégique. L’on pourrait résumer Julien Freund à un seul postulat, l’adage romain et machiavélien Salus populi suprema lex que l’on peut traduire ainsi « que la salut du peuple soit la loi suprême ».

    ÉLÉMENTS : L’ennemi, l’ennemi… on n’en a jamais autant parlé, du moins depuis la mort de Samuel Paty, parfois dans les termes mêmes de Julien Freund. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette formule et sur cette notion Ami-Ennemi ?

    PIERRE BÉRARD. On peut exister certes sans ennemi, mais cela ne dépend pas exclusivement de nous. Julien Freund rappelait volontiers cette anecdote survenue lors de sa soutenance de thèse en 1965. Jean Hyppolite, grand spécialiste de Hegel et adepte des Lumières, était accablé par la dialectique ami-ennemi formulée par Freund dans sa thèse. Il l’interpella en ces termes : « Si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à cultiver mon jardin ! » À quoi Freund répondit du tac au tac : « Comme tous les pacifistes, vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or, c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » En réalité, il n’y a du politique que là où il y a un ennemi. Ainsi, certains nous ont déclaré la guerre, mais on ne sait leur opposer que des peluches, des bougies et des déclarations incapacitantes du genre « Vous n’aurez pas ma haine ». On a beau proclamer en haut lieu que nous sommes en guerre, Il n’y a nulle part de mobilisation, mais en revanche beaucoup de couardise. Et, dans ce décor de crépuscule, on ne voit rien venir d’autre que des hommes, paraît-il politiques, qui se consacrent à la gestion des émotions, aux obligations du temps court de l’immédiateté sans vision autre que celle d’une croissance infinie de tout, de l’immigration comme de la production. Ils sont les fossoyeurs de notre civilisation et prétendent imposer leur prêche moralisateur au monde entier sans jamais oser montrer leurs crocs. D’ailleurs constitue-t-on encore un peuple au sens ethnique et civique ? Probablement le réaliste Freund aurait-il répondu que non.

    Pierre Bérard (Site de la revue Éléments,  3 décembre 2020)

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  • L’Europe décadente de Julien Freund...

    Dans son émission vidéo Fenêtre sur le monde, Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits vous amène sur les chemins de la philosophie politique pour évoquer l’Europe, la démocratie et la politique au travers de l’œuvre de Julien Freund avec ses trois invités, Chantal Delsol, Michel Maffesoli et Markus Kerber.

     

                                     

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  • Les snipers de la semaine... (181)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Acrimed, Jean Pérès dézingue la caste médiatique qui a condamné sans preuve le mouvement des Gilets jaunes pour antisémitisme...

    Antisémitisme : les gilets jaunes convoqués devant le tribunal médiatique

     

    Gilets jaunes_Antisémitisme.jpg

    - à propos d'un fait divers médiatique, l'agression d'un travesti par des manifestants algériens sur la place de la République, Xavier Eman et Bruno Lafourcade sortent la sulfateuse...

    Phase terminale

    Les Hyppolite

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  • Mondialisation et prolifération de l'hostilité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux changements de forme de la guerre provoqués par la mondialisation. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Pas d'idée de paix sans définition de la guerre

    Comment sait-on que l'on est en guerre ? Il y a quelques années, la question aurait été absurde. La guerre était l’affaire des États (ou de groupes armés qui voulaient s’emparer de l’État, donc du monopole de la violence légitime, et il était alors convenu de parler de «guerre civile»).

    - La guerre entraînait certains actes de langage : on la proclamait pour mobiliser son camp, au moins moralement, on la déclarait à l’autre, on l’exaltait par des discours, on la concluait par un écrit, tel un traité, on l’inscrivait dans les livres d’histoire ou sur des monuments. Le but était d’imposer le silence : silence des armes, silence du vaincu qui renoncerait à s’adresser à la postérité et à énoncer sa prétention politique

    - L’état de guerre – une période avec un début et une fin- supposait des codes spécifiques : elle était ou bien juste ou bien injuste au regard du droit des gens ; des professionnels, les militaires (et eux seuls), avaient en fonction des circonstances le droit de tuer ou pas Chacun savait s’il était combattant (éventuellement « sans uniforme ») ou civil. La distinction ennemi privé / ennemi public était indépassable (extros contre polemos en grec, hostis contre innimicus en latin, etc..)

    - La guerre se déroulait en un lieu connu : front, champs de bataille, zones occupées ou libérées. Un coup d’œil sur la carte montrait quelles troupes progressaient et lesquelles se repliaient.

    - La guerre s’accompagnait de destruction à commencer par un taux de mortalité anormal. : cette expérience du sacrifice revenait à chaque génération par cycles et apparaissait comme inhérente à la condition humaine. La belligérance, catégorie anthropologique fondamentale, stimulait les plus fortes passions de notre espèce.

    - Les belligérants savaient qu’ils participaient à un conflit armé collectif ayant des fins politiques. Ils continuaient à s’infliger des dommages ou à occuper leur territoire respectif, jusqu’à la victoire ou au compromis (traité). Victoire ou compromis devaient modifier un rapport de souveraineté ou de pouvoir et s’inscrire dans l’Histoire. Le vaincu reconnaissait sa défaite ou disparaissait comme acteur (massacré, par exemple).


    En termes de communication, de normes, de temps, d’espace, de forces, de conscience et de finalité, la distinction entre guerre et paix était aussi fondatrice qu’incontestable.
    Tout ce que nous venons de rappeler correspond à une vision « classique » européenne ; celle de penseurs aussi divers que Clausewitz, Hegel, Weber, Schmitt, Freud, Caillois, Bouthoul, Aron, … et qui paraît aujourd’hui si désuète.

    Les nouvelles violences

    Sans même parler de la guerre froide dont la principale caractéristique fut de ne pas éclater à partir de la seconde moitié du XX° siècle, apparurent des formes de conflits inédites, certaines virtuelles ou fantasmées :

    - Affrontements entre acteur étatique et combattants qui se considèrent comme armée de libération ou se réfèrent à une notion similaire. Reste à savoir à partir de quel degré d’organisation, permanence, visibilité (une « guerre clandestine » est-elle une vraie guerre ?), suivant quels critères politiques relatifs à la noblesse ou au sérieux de sa cause, un belligérant mène une vraie guerre de partisan. Sinon, il s’agit d’émeutes, d’incidents, de raids de groupes armés… relevant plus ou moins de la police et du maintien de l’ordre. Pour ne prendre qu’un exemple, dans les années 50, il n’y avait pas une guerre mais des « événements d’Algérie ». Quarante ans plus tard, l’État algérien se demandait s’il faisait la guerre aux maquis islamistes ou s’il s’agissait de maintien de l’ordre.

    - La question devient cruciale soit lorsqu’il y a pluralité d’acteurs armés, comme la prolifération des milices au Liban dans les années 80, soit quand la distinction entre politique et criminalité devient presque indiscernable. En Amérique latine ou dans des le « triangle d’or » proche de la Birmanie, bien subtil qui sait distinguer une bande armée de trafiquants de drogue d’une guérilla.

    - La distinction militaire/civil est remise en cause par la tendance à mobiliser des combattants sans uniforme, et la propension croissante des conflits à tuer bien davantage de civils que de militaires. Au moins d’un côté (voir le fantasme du « zéro mort »). Quand des milices massacrent des civils qui ne se défendent guère, comme au Darfour, faut-il continuer à parler de guerre ? Dans un tout autre genre : quand un membre d’une société militaire privée accomplit-il une mission de sécurité, est-il un assistant d’un « vrai » militaire et quand commence-t-il à « faire » la guerre ? Où passe la frontière entre terrorisme, guerre secrète, guerre du pauvre, guérilla ?

    - Inversement, le système international - pour ne pas dire l’Occident – a inventé des interventions armées inédites des représailles sanctions jusqu’aux interventions humanitaires. Elles doivent séparer des protagonistes ou protéger des populations. Le discours des puissances intervenantes souligne qu’elles mènent une guerre « altruiste » censées ne leur apporter aucun avantage. Elles disent lutter contre des criminels ou ennemis du genre humain, contre des dirigeants et non des peuples qu’elles sont au contraire venues sauver. De là le droit d’ingérence qui autorise le recours à la force armée pour empêcher des violences inacceptables. Les opérations militaires, que nous nommerions « de contrôle », se multiplient, pour maintenir la violence armée des pauvres et des archaïques (conflits ethniques par exemple) à un degré supportable .

    - Les situations intermédiaires -pas vraiment la paix, pas encore la guerre - se multiplient. Ainsi, en Afghanistan, la guerre contre les talibans est censée être finie, et pourtant les troupes de la coalition doivent utiliser des armes lourdes. Corollairement, des citoyens de pays industrialisés peuvent ignorer dans combien de conflits ou d’opérations de « maintien de la paix » sont engagés leurs troupes et ne pas ressentir l’état de belligérance. Pour reprendre le même cas, la perte de quelques soldats d’élite français en Afghanistan en 2007 a soulevé moins d’émotion que certains accidents de la route. Le sentiment de sécurité qu’éprouvaient la plupart des Européens (mais moins d’Américains depuis 2001), l’idée que la guerre est une vieillerie dont le droit, la démocratie et la prospérité nous ont délivrés, tout cela serait apparu proprement stupéfiant il y a quelques décennies.

    - Les stratèges ne cessent d’imaginer des formes de conflit où les armes prendrait une forme inédite ; ils intègrent dans leurs panoplies des outils informationnels au sens large qui agissent plus sur les esprits que sur les corps. Qu’il s’agisse de priver l’adversaire de ses moyens de communiquer, de le désorganiser ou de le désinformer, de percer tous ses secrets, de le sidérer psychologiquement, de rendre la force plus intelligente et mieux ciblée…, les spécialistes de la Revolution in Military Affairs et des diverses cyberwar et autres information warfare, n’ont jamais manqué d’imagination. Parallèlement, les notions de guerre de quatrième génération, de faible intensité, guerre continue ou celle, chère aux stratèges chinois, de guerre sans limite, reflètent les formes inédites du conflit technologiques, psychologiques, économiques, et devient de moins en moins évident que la guerre se pratique avec ces outils reconnaissables que sont les armes.

    - Parmi les catégories utilisées pour décrire les nouvelles formes de l’affrontement armé, celle de guerre asymétrique est particulièrement révélatrice. Elle porte sur les moyens employés (guerre du pauvre contre guerre du riche high tech et surarmé), sur la stratégie (attrition contre contrôle), mais elle porte aussi sur les objectifs. Pour le fort la règle est : annuler ou limiter l’action du faible. Pour le faible : durer, infliger une perte sur le terrain moral ou de l’opinion, démoraliser celui que l’on ne peut désarmer, lui rendre le prolongement du conflit insupportable. La guerre asymétrique repose plus sur l’utilisation de l’information que sur celle de la puissance et partant contredit toutes les conceptions classiques. Elle postule que la victoire stratégique n’est pas une addition de victoires tactiques ; elle déplace la question de la légitimité de la guerre (donc de la croyance qui la soutient) non pas en amont de la guerre mais comme son objectif même.

    Ces tensions et contradictions trouvent leur point culminant le jour où les États-Unis proclamèrent une « Guerre globale au terrorisme ». Elle appelle la notion complémentaire de « guerre préemptive » autorisant une intervention armée à l’étranger contre des groupes terroristes ou contre des tyrans susceptibles de les aider et/ou de posséder des armes de destruction massive.

    Guerre des absolus

    La plus grande puissance de tous les temps ( qui, a priori devrait avoir le moins à craindre) considère que l’état de guerre existe est susceptible de durer plus d’une génération. Et ce jusqu’à la disparition de tout acteur hostile (État Voyou, groupe terroriste), de toute intention hostile (le terrorisme, ceux qui haïssent la liberté, l’extrémisme violent, pour reprendre diverses formulation des dirigeants américains) et de tout instrument hostile (les Armes de Destruction Massive). Il est tentant d’en déduire qu’il s’agit d’une guerre perpétuelle pour une paix perpétuelle. On n’y nomme ni son adversaire, ni sa limite, ni les conditions de sa victoire. Faire du monde « un lieu plus sûr pour la démocratie » est un programme politique pour Sisyphe. Six ans de Guerre Globale au Terrorisme semblent indiquer que, loin d’éliminer les régimes hostiles, les groupes armés (y compris avec l’arme de l’attentat suicide) et les ADM (en Iran ou en Corée), elle semble les encourager.

    Symétriquement, la guerre comme jihad défensif voire offensif (Daech voulait rien moins qu’étendre le califat à la planète) telle que la prônent les groupes islamistes n’est pas moins surprenante : elle est licite aux yeux de ses acteurs (elle est commandée par Dieu et constitue une obligation). Non seulement elle ne connaît pas de limites dans son extension territoriale ni dans le choix de ses victimes (pratiquement n’importe qui sauf un jihadiste est « éligible »). Il n’est pas certain qu’elle vise à une victoire (sauf à supposer la conversion de l’humanité entière à la variante salafiste du sunnisme). Au contraire,le jihad trouve sa propre justification non dans la réalisation de fins politiques, mais en lui-même, comme occasion de sanctification par le martyre ou comme compensation mimétique (ben Laden parle même de « talion ») des souffrances et humiliations subies par l’Oumma.

    Et dans les deux cas, la dimension symbolique du conflit prédomine. D’un côté montrer la résolution des États Unis et démentir qu’ils soient un « tigre en papier ». De l’autre, infliger une humiliation à l’Occident orgueilleux et idolâtre. Et, si l’on remonte plus haut, ce sont deux guerres de conversion : il s’agit de faire disparaître une croyance qui offense le droit universel dans le premier cas (la haine de la liberté des terroristes), qui contredit loi divine dans le second (la haine de Dieu des juifs, des croisés et des apostats).

    Chacun est libre de penser que « guerre » n’est qu’une catégorie juridico-philosophique particulièrement héritée de la pensée classique voire une très longue parenthèse historique (pour certains commençant au néolithique) et dont ni l’universalité, ni la perpétuité ne sont démontrées. Ou peut aussi la considérer comme degré dans les violences que les hommes s’infligent sans trop se soucier des catégories.

    Notre propos n’est pas une quelconque forme de nostalgie envers les bonnes guerres d’autrefois qui se faisait au moins dans l’ordre et la discipline et que nous n’avons pas connues. Simplement il faudra apprendre à vivre avec ce paradoxe : mondialisation et affaiblissement du principe de souveraineté politique, autrefois considéré comme belligène, n’impliquent pas la fin de l’hostilité mais sa prolifération et sa privatisation.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 22 mars 2019)

     

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